La lettre de Umanz : 🎎 Mono No Aware, l'art japonais de l'émotion des choses
Les visages, les êtres viennent à moi, comme si je devenais le secrétaire de la vie silencieuse.
Christian Bobin
Cette semaine, on va parler de délicatesse et de profondeur avec le Mono No Aware, cet art subtil et nuancé qui nous vient du Japon et que nous portons tous en nous.
Avant cela, et pour rester dans la thématique de la délicatesse, je partage comme chaque semaine, l’un de mes textes préférés, celui de Virginia Woolf (avec cette phrase inouïe : “l'éblouissant d'or pâle par simple bonne humeur.”)
La beauté était partout
Regarder une feuille frémir sous le souffle de l'air était une joie exquise. Haut dans le ciel, des hirondelles fondaient, viraient, se lançaient de tous côtés, tournaient en rond et encore en rond avec pourtant une maîtrise toujours parfaite comme si elles étaient retenues au bout d'élastiques ; et les mouches qui montaient et retombaient ; et le soleil qui désignait tantôt une feuille tantôt une autre, par moquerie, l'éblouissant d'or pâle par simple bonne humeur ; et parfois un carillon (c'était peut-être une voiture qui cornait) venait tinter divinement sur les brins d'herbe — tout cela, calme et raisonnable pour ainsi dire, formé finalement de choses ordinaires, était désormais la vérité ; la beauté était désormais la vérité.
La beauté était partout.
Virginia Woolf
Mono No Aware : l'art japonais de l'émotion des choses
Le Mono No Aware est l’art de voir l’émotion dans les choses et de les transcrire. Un art de l’éphémère. Une attitude teintée de mélancolie face à l'impermanence.
Le Mono (pour chose) No Aware (surprise) apparait dans les poèmes du VIIIème siècle à l’évocation des cris plaintifs d’animaux ou du chant des oiseaux. Il renaît pendant l’ère Edo au Japon sous la plume de Motoori Norinaga dans ses commentaires sur le Dit du Genji, un récit légendaire du XIème siècle. (The Tale of Genji).
Il sert à désigner une sensation subtile entre la "poignance" et le "sentiment profond", l’attachement à la beauté du transitoire, à ce qui meurt, tout comme à l’étrange beauté des objets qui nous survivent. On le retrouve dans les sons des cloches du temple de Gion.
…comme dans la fleur de Sola. ou dans le spectacle des cerisiers en fleur qui ne durent qu’une semaine. En occident, on a parfois comparé le Mono No Aware Japonais aux “Larmes des Choses” (Lacrima Rerum) de Virgile.
"Si l'homme ne devait jamais s'effacer comme les rosées d'Adashino, jamais s'évanouir comme la fumée sur Toribeyama, comme les choses perdraient leur pouvoir de nous émouvoir ! Ce qu'il y a de plus précieux dans la vie, c'est son incertitude."
Yoshida Kenko
La fulgurante transcendance des choses
Le Mono No Aware s’exprime aujourd’hui dans les mangas à dominante écologique. On le retrouve chez l’auteur Hitoshi Ashinano (Yokohama Kaidashi Kikō) , Kozue Amano (Aria) et le réalisateur Isao Takahata, co-fondateur du Studio Ghibli avec Hayao Miyazaki. Le tombeau des lucioles illustre parfaitement ce mélange de surprise enfantine et d’impermanence
Qui n’a pas chez lui un objet à forte charge émotionnelle ? Un “rosebud”, une madeleine à lui. On retrouve encore le Mono No Aware dans le cinéma d’Ozu, spécialiste du pathos des objets avec sa fameuse scène finale du vase dans le film Printemps Tardif. Il est également transcrit dans les oeuvres de l’artiste Jean Degottex.
Dans une nouvelle pré-apocalyptique, intitulée Mono No Aware, l’auteur de Science-Fiction Ken Liu capture la magie du Mono No Aware, l’idée maîtresse de la frontière entre émerveillement et évanescence :
"Les étoiles brillent et clignotent.
Nous sommes tous des invités de passage,
un sourire et un nom."
Ken Liu, Mono no aware
Car le Mono No Aware détient une vérité. Une vérité qui rejoint cette idée toute simple : “ton extraordinaire est fonction de ce que tu fais de l’ordinaire.”
“Et une vie secrète commence dans les choses, ce que tu croyais mort et sans vie révèle une vie secrète et une intention impitoyable.”
Carl Jung, Livre Rouge
Sur le même sujet lire L’émerveillement est le bonbon de l’âme
et Dictionnary of obscure sorrows : l’infinie délicatesse des mots sur nos émotions indéfinissables.
3 tweets sinon rien
L’art de l’Unpitch
Ce tweet a tristement bien vieilli
Nasdaq Boy
Les Screentoughts de la semaine
Cool sur le bonheur
Élimination Vs Optimisation
La tragédie des non-amis
Le SNAFU (Situation-Normal-All-Fucked-Up) de la semaine :
80 à 85% des abeilles…
Saviez-vous que pour polliniser les amandiers en Californie on acheminait par camions entiers…85 à 80% des abeilles américaines aux US ?
Les pépites de la semaine
On finit avec quelques pépites issues des newsletters sectorielles réalisées pour nos clients :
🧑💼Comment séparer son soi de son moi-au-travail ? Que devient notre identité sans mémoire ? Les questions vertigineuses sur le sens au travail portées par la série Severance sur Apple TV ?
🤑“I sometimes joke that there are way more socialists who need a financial adviser than there are socialist financial advisers.” Et voici la nouvelle génération d’investisseurs anti-capitalistes.
🎤 25% des Breakout artists naissent sur TikTok… La question qu’on ne se pose jamais tous les matins en se rasant : mais que se passe-t-il quand une chanson devient virale sur TikTok ? Anatomie des nouveaux hitmakers et plongée vertigineuse d’une équipe de Data Analysts dans la wharolisation sous stéroïdes :
🧐 Le grand reflux : tiens, tiens : les candidats sortent de la Tech et reviennent aux Big Boring Companies.
C’est tout pour cette semaine je vous retrouve la semaine prochaine avec de nouvelles pépites de sens. Je vous souhaite un week-end plein de délicatesse et, comme toujours, gardez le cap.
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