Nadia Asparahouva, a eu un jour un drôle d’insight, une idée que l’on pourrait qualifier d'obscure voire paradoxale : “Il y a plein de gens avec des idées qui sont réellement intéressantes et importantes mais ils ne souhaitent pas qu’elles deviennent virales.”
Par hasard, elle avait mis le doigt sur une rareté. Les idées Antimémétiques.
Elle explique depuis dans son livre Antimemetics, why some ideas resist spreading pourquoi certaines idées, qui peuvent être taboues, résistent à la viralité, mais aussi pourquoi certaines idées “méritent” d’être non-virales pour ne pas s’éventer.
C’est pourquoi cette notion pose plusieurs question essentielles :
Qu’est-ce qui est important aujourd’hui mais reste ignoré par les algorithmes ou le discours ambiant ?
Comment maintenir la pratique des pensées difficiles à penser ?
Quelles idées sont actuellement invisibilisées ?
Et comment résister demain à la contagion mémétique ?
C’est quoi une idée antimémétique ?
Une idée antimémétique est une idée parfois lente, parfois impopulaire, parfois dangereuse qui résiste à la viralité.
Je trouve pour ma part que cette phrase de Zygmunt Bauman est particulièrement antimémétique : “La modernité n’a pas rendu les gens plus cruels, elle a seulement inventé une manière de faire des choses cruelles par des gens non cruels.” Ou encore cette phrase de Jim Collins qui revient souvent dans mon cabinet Second Act : “Ne laisse pas ton ambition te masquer ce que tu es vraiment”. Ce sont des phrases non examinées et à éclosion lente.
Ou encore cette question entendue dans la bouche d’un enfant : pourquoi les métiers qui rapportent le plus sont ceux qui rapportent le moins à la planète ?
De même que la Participation d’Owen Barfield (cette façon perdue d’être au monde) ou l’Involonté (une ancienne idée neuve à réhabiliter à l’ère #postperf) sont aussi des idées impopulaires, pas encore mainstream et discrétement antimémétiques.
D’où viennent les Antimèmes ?
Historiquement, le concept d'antimème est né au cœur de l'univers de Science-Fiction exploré par QNTM (prononcez Quantum) dans son livre There is No Antimemetics Division issu de l’univers SCP. Ce terme, dérivé de la théorie des mèmes de Richard Dawkins, désigne une idée ou une information qui résiste intrinsèquement à la mémorisation, à la transmission ou à la compréhension.
Les Idées Résistantes 2.0, des idées qui résistent au virus de la viralité
Un mème, selon Dawkins, est une unité culturelle (comme une idée, une chanson ou une mode) qui se propage d'esprit en esprit, semblable à un gène. Un antimème, c’est l'inverse. Un antimème est une idée qui échappe activement à cette propagation. Elle est conçue pour être oubliée, ignorée ou pour échapper à la conscience.
Imaginez un mot qui a la capacité de se faire oublier systématiquement dès que vous l’entendez. C'est ça un antimème.
Dans l’Univers (mystérieux) du très antimèmétique QNTM ( on sait désormais qu’il s’agit de Sam Hugues), un antimème peut aussi être une entité ou une force qui manipule activement la mémoire et la perception pour se cacher, créant des flous cognitifs.
Une idée antimémétique est donc le remède ultime des excès de l’âge de la transparence (ou de la surveillance).
Elle est :
1- Oubliable donc indétectable.
2- Résistante à la transmission : les mots pour l'expliquer se dérobent.
3- Résistante aux enregistrements : une idée antimèmétique ne se capture pas.
Autant de questions qui valident pour moi l’idée des filtres de serendipité comme barrière de protection antimémétique et premier niveau de sécurité cognitive.
Dans son livre, QNTM imagine une division secrète de lutte antimémétique. Cette division est paradoxale : elle n'est pas censée exister (d’où le titre), mais elle est essentielle pour protéger l’humanité.
Sa mission consiste à gérer l'oubli : Les membres de la division utilisent des méthodes comme des notes écrites ou des enregistrements pour garder une trace de leur travail. Cependant, ces traces peuvent être effacées ou déformées par les entités antimémétiques.
Elle doit également lutter contre des forces invisibles : Les antimèmes sont difficiles à localiser car leur nature même résiste à la détection. La division antimémétique doit enfin créer des paradoxes cognitifs : les personnages sont parfois pris dans des situations où ils "savent qu’ils ont oublié" quelque chose, mais sont incapables de déterminer quoi.
Un idée (paradoxalement) persistante
C’est peut-être pour cela que le concept d’antimème, comme celui d’hyperphysicalité résonne si fortement chez les digital natives saturés d’informations, de slops et de similarité.
Il invite à une réflexion sur la mémoire, l’information et sa fragilité. et explore des questions vertigineuses comme : peut-on vraiment faire confiance à sa mémoire ? Quelle est la nature d'une idée si elle ne peut être partagée ? Qu'advient-il des informations qui disparaissent sans laisser de traces (une vraie et urgente question à un moment où une partie des archives numériques du web 1995-2025 disparaît de façon irréversible).
Une idée à la con ? Pas si sûr…
Bien sûr, on pourrait s’étonner et trouver absurde la pensée même que les idées ne doivent pas se répandre circuler immédiatement. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes car l’idée Anti-mémétique se répand comme une traînée de poudre.
On pourrait aussi se demander si les idées antimémétiques ne sont pas une une vraie-fausse bonne idée ? Ou si cette caractéristique de rejet primaire ne serait pas un signe supérieur, révélateur de leur vertu anti-mémétique ?
Ce serait toutefois oublier qu’il y a un temps de l’idée.
Une incubation qui fait que certaines idées comme l' Eppur si mueve de Galilée, ou les idées longtemps combattues comme celles d’Ignace Semmelweis sur l'hygiène dans les hôpitaux (il voulait juste que les chirurgiens lavent leurs mains avant d’opérer !!!) prennent un temps considérable avant de se répandre.
Et c’est peut être là, la force des idées antimémétiques : nous sommes dans un moment où ce qui est propulsé vers le haut par les algorithmes et les feeds n’est peut-être pas, peut-être plus ce que la société et le monde réclament.
In fine, pour résister aux enfonçages de porte, il faudra non seulement découvrir des portes non enfoncées (un lent travail de curation et d’excavation) mais en plus créer de nouvelles zones fertiles et antimémétiques (le patient travail de l’imagination et de la créativité). Des pratiques à la frontière de la recherche et de la divination.
Il s'agira de produire à nouveau, des idées mystérieuses encore incomplètes. Des idées dont le temps n’est pas encore venu.
S’abstraire de penser en public pour ne pas être repéré, être stupide par ruse ou mieux vide et transparent pour croître patiemment. Imaginer en cercles restreints. Créer des Zones d’Autonomie Temporaires de la pensée. Échapper aux détecteurs de mouvement, aux ondes thermiques et mécaniques des tripods de la guerre des mondes.
Inventer un langage que les machines ne comprendront pas.
Retrouver cette intuition de la merveilleuse Clarice Lispector :
“Mais je sais bien ce que je veux ici, je veux l’inabouti. Je veux le profond désordre inorganique qui donne pourtant à pressentir un ordre sous-jacent. La grande puissance de la potentialité”
Clarice Lispector
Il nous reste donc à réimaginer des idées à l’élégance presque monastique dans un monde saturé de promesses flashy.
Recréer un espace entre les choses.
Et parce que le nouveau a besoin d’ami, il nous faudra Inventer des paroles incarnées mais non indexées, des idées étranges qui ressemblent aux phrases de presque, des protocoles lents et indétectables, des armes douces à transmission silencieuse.
Regardez autour de vous, écoutez, sentez…les idées antimémétiques sont peut-être déjà là autour de vous.
Patrick Kervern, défadeur en chef de Umanz
Cette newsletter est avant tout un projet de coeur. De nombreuses personnes et sociétés me demandent souvent : comment travailler ensemble ? Actuellement, je consacre 80% de mon temps à “Second Act”, mon cabinet d’accompagnement en transitions pro ou perso. 10% de mon temps à des Keynotes en entreprise sur les Soft Skills élégants: les secrets de l’audace, la curiosité, l’esprit du débutant, l’émerveillement, l’impact, la loyauté, l’art de la conversation etc. Ainsi que des ateliers et séminaires exclusifs pour les comités de direction. Et 10%, par pur plaisir, à une activité de conseil en positionnement et en identité d’entreprise que j’ai gardée de mes anciennes activités chez Google, Reuters et Dow Jones. Elle me permet de produire, pour les marques et les entreprises des positionnements ou des contenus uniques, aussi différenciés que des guitaristes punks dans un orchestre de mariachis.
J’aime paradoxalement cette idée d’antimeme. L’analogique en est déjà à mon sens un très bon indice.