La lettre de Umanz ✍️ : comprendre les moutons, chercher le goût et 3 autres Nuances As A Service
Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves.
Seules les traces font rêver.
René Char, La Parole en archipel
Je crois que je résume assez bien la situation de 99% de mes lecteurs si j’exprime le sentiment de plus en plus répandu de sentir empêchés et rétrécis par des leaders du monde devenus fous, une économie déboussolée, des algorithmes immaîtrisables et l’état mental fragile de nos enfants (sans oublier le lien entre les deux qu’une certaine classe de Randiens techno-performatifs (hein Zuck?) s’obstinent à nier.
Bref les 4 piliers de la crise de sens dont je vous parle depuis quelques années pèsent sur nos élans et rétrospectivement, le monde B.A.N.I ou la Fuckedupitude ambiante font figure d'euphémismes.
Raison de plus pour se donner un espace rare - une chambre haute de l’être en quelque sorte- et méditer la sélection de nuances aériennes que je vous propose aujourd'hui.
Cultiver la nuance est pour moi l’un des rares moyens de braver le vacarme et d’échapper aux mâchoires du monde. C’est mettre de l’écart, se donner du champ.
Les nuances sont un recul et un doute.
Avant cela, je propose à tous ceux qui connaissent cette légère inclinaison de la tête de s’accorder une petite distance contemplative en méditant ce portrait dense et profond que faisait Mathieu Galley de Marguerite Yourcenar.
Il parle avec nuances de son regard distant, ardent mais toujours incroyablement prescient sur le monde :
“ Tout visiteur a le sentiment de pénétrer de plain-pied dans un pays où l'air est différent. Le regard de Marguerite Yourcenar se pose sur lui, le jauge, le juge, à la fois lointain
et courtois, nuancé d'un rien d'ironie. Et elle commence à parler, avec la sûreté de ce qu'elle croit...
Sereine jusqu'au détachement - et tendre pourtant ; il faut la voir caresser un chien, un caillou sur la plage -on dirait qu'elle appartient à un autre règne, où les mots auraient leur sens, les humains leurs raisons, l'univers des lois reconnues par tous, la sagesse une place et l'intelligence un rayonnement sans ombres.
Elle contemple le monde en face, et les hommes, avec un amour abstrait qui peut faire peur, comme celui des saints. Mais elle a en elle des feux qu'on devine.
Malgré son sourire de Minerve, si retenu et même un peu distant, c'est une visionnaire qui vous contemple, de cet oeil bleu où se retrouve, intacte sous la paupière alourdie, l'innocence glacée de l'enfant, devant un monde qui croule.
Mathieu Galley, dans “Les Yeux Ouverts : Entretiens avec Marguerite Yourcenar”
Aller chercher le goût, comprendre les moutons et 3 autres Nuances As A Service
Comprendre les moutons
Voici une des anecdotes préférées de Charlie Munger, célèbre investisseur de Berkshire Hattaway :
“Un enseignant pose une question à une classe : Il y a dix moutons dans un enclos. L'un d'eux saute, combien en reste-t-il ? Tout le monde, sauf un garçon, dit qu'il en reste neuf.
Un garçon a dit qu'il n'en restait aucun. Le professeur a dit : "Vous ne comprenez pas l'arithmétique" et il a répondu : "Vous ne comprenez pas les moutons.”
Non court, Oui long
L'acteur Matthew McConnaughey a adopté un schéma original de prise de décision. Sur les projets de films, il donne soit un Quick No ou un Long Yes.
Ses “Non” sont donc rapides en revanche, pour les oui qui méritent réflexion, il va peser le pour et le contre pendant deux semaines avant de dire Oui.
Aller chercher le goût
Et si la relation entre deux ingrédients pouvaient capter un goût supérieur.
C'est ce qu'explique Ryoko Sekiguchi dans Nagori, la nostalgie de la saison qui s'en va :
« Il y a une expression en japonais, "aji wo mukae ni iku", qui pourrait se traduire par "aller chercher un goût". En cas de rencontre véritable entre deux ingrédients, il arrive que l'un aille "chercher le goût" de l'autre, pour en extraire la meilleure part.
Pour peu que l'échange soit mutuel, on pourra découvrir une saveur qui n'existait pas tant que les ingrédients menaient leur vie séparément.»
Les Heures Ordinaires
Et si le secret d’une vie réussie consistait à trouver la joie dans les heures ordinaires
Il y a une vraie poésie et une profonde vérité dans les Heures Ordinaires.
Les Heures Ordinaires sont une expression de Haemin Sunim, un moine coréen voici ce qu’il en dit :
“Il y a beaucoup plus d'heures ordinaires que d'heures extraordinaires dans la vie. Nous faisons la queue au supermarché. Nous passons des heures à nous rendre au travail. Nous arrosons nos plantes et nourrissons nos animaux de compagnie. Le bonheur consiste à trouver un moment de joie dans ces heures ordinaires.”
La parabole des trombones
Voici une petite parabole d’ingénieur rapportée par le CEO de Tailscale, Avery Pennarun :
Dans une école d’ingénieur un professeur demande à ses élèves de placer sur une courbe de Gauss au bout de combien de fois des trombones décortiqués et manipulés par les élèves cassent.
Certains cassent au bout d’une ou deux fois, d’autres parfois, au bout de 20 tentatives. Mais…la leçon n’est pas là, elle est dans le commentaire du professeur sur le métier d’ingénieur en particulier et sur les risques en général :
“Personne au monde ne sait comment fabriquer un trombone qui ne se cassera jamais. Nous pouvons en fabriquer un qui se plie mille fois, ou un million de fois, mais pas un qui puisse se plier éternellement. Et personne ne construit un trombone qui peut se plier mille fois, parce qu'il serait plus cher qu'un trombone ordinaire et que personne n'en a besoin.
Le métier d’ingénieur ne consiste pas à construire un trombone qui ne se cassera jamais, mais un trombone qui se pliera suffisamment de fois pour que le travail soit fait, à un prix raisonnable, en quantités suffisantes, à partir de matériaux accessibles et dans les délais prévus.
L'ingénierie, c'est savoir que, quels que soient vos efforts, une fraction de vos trombones se cassera après un seul pliage, et ce n'est pas votre faute, c'est ainsi que fonctionne la réalité, et c'est à vous de l'accepter, de savoir exactement de quelle fraction il s'agit et de construire en fonction de cela, car si vous faîtes mal votre métier d’ingénieur, des gens vont mourir.
Mais le pire, c'est que même si vous faites bien votre travail d'ingénieur, il arrive que des gens meurent. En tant qu'ingénieur, vous allez absolument faire des compromis en rendant les choses moins chères en échange d'une probabilité plus élevée que des gens meurent, parce que la seule alternative est de ne pas faire les choses du tout.
Dans le monde réel, le taux d'échec n'est jamais nul, même si vous faites parfaitement votre travail.”
Quel sera ton Second Act ?
Dans vingt ans, tu seras plus déçu par les choses que tu n'auras pas faites que par celles que tu auras faites. Alors largue les amarres, sors du port, attrape les alizés dans tes voiles.
Explore. Rêve. Découvre.
Mark Twain
Il y a une gigantesque déconnexion à l'œuvre dans la société. On nous dit qu’il y a une app pour ça, une pilule pour ça, une posture de Yoga pour ça, mais la vérité c’est que nous n’avons pas mis à jour nos outils intérieurs de fabrication du sens et de connaissance de soi, y compris au travail, face à une société et des phases de vie qui ont radicalement changé.
Découvrez Second Act, mon cabinet de transition de vie, un passeport de sérénité pour la deuxième partie de vie.
Les Screenthoughts de la semaine
Tout le monde ne “veux pas bien”
Juste, smart et intéressant
La raison du plus tort
Signe des temps et temps des signes
Et voici la Money Dysmorphia : la «dysmorphie de l'argent » (ou «dysmorphie financière ») désigne une distorsion de la perception de sa propre situation financière. À l'instar de la dysmorphie corporelle, où une personne voit son apparence physique de manière déformée, la dysmorphie financière amène un individu à se sentir financièrement instable ou inadéquat, même lorsque ses finances sont objectivement saines.
Une phrase vertigineuse : “les médias neuronaux renforcent les identités telles qu'elles sont perçues par les machines”. À chaque époque son média, bienvenue dans l’ère du minimum viable content…âge de l’IA…âge du neural media.
“Sous le régime du technate, les humains n'auraient plus de noms, mais des nombres. Saviez vous qu’un technate de l’époque se faisait appeler 1x1809x56. Et saviez-vous que Musk a un fils qui s'appelle X Æ A-12 ? Bref, vous ne pouvez pas comprendre Elon Musk sans comprendre son grand-père Joshua Hadelman.
La fragile différence en entreprise entre travailler et…faire semblant de travailler.
Hypnocratie, l’affaire dans l'affaire. Très bel édito et mise en abyme d’Apolline Guillot dans The Philonomist.
C’est tout pour cette semaine, je vous retrouve la semaine prochaine avec un nouvel essai.
D’ici là, comme toujours, gardez le cap 🧭.
Waloyo Yamoni, nous surmontons le vent.
Cette newsletter est avant tout un projet de coeur. De nombreuses personnes et sociétés me demandent souvent : comment travailler ensemble ? Actuellement, je consacre 80% de mon temps à “Second Act”, mon cabinet d’accompagnement en transitions pro ou perso. 10% de mon temps à des Keynotes en entreprise sur les Soft Skills élégants: la Curiosité, l’esprit du débutant, l’émerveillement, l’impact, la loyauté, l’art de la conversation etc. Ainsi que des ateliers et séminaires exclusifs pour les comités de direction. Et 10%, par pur plaisir, à une activité de conseil en positionnement et en identité d’entreprise que j’ai gardée de mes anciennes activités chez Google, Reuters et Dow Jones. Elle me permet de produire, pour les marques et les entreprises des positionnement et des contenus uniques, aussi différenciés que des guitaristes punks dans un orchestre de mariachis.
Le passage sur l'ingénierie me rappelle qu'au Canada les ingénieurs portent souvent une bague au petit doigt de la main dominante. Cet anneau en acier leur est remis à la fin de leurs études. Il symbolise depuis 1925 l’engagement pris par les jeunes diplômés de toujours avoir un comportement professionnel et éthique. Il est aussi un symbole de fierté et d’humilité.
Lors de la cérémonie, les diplômés récitent un engagement solennel écrit en 1922 par l’auteur britannique Rudyard Kipling (1865-1936), à la demande d’ingénieurs de l’Université de Toronto.
Puis toute leur vie, à chaque fois que l'anneau tintera sur la table lors du travail (écriture, dessin), son porteur se rappellera de sa promesse de travailler de manière éthique et responsable.
Simple et efficace.
Et merci pour la pépite sur l'hypnocratie. Génial.