Bienvenue sur Umanz, une lettre où un non-automate parle à des intelligences naturelles.
“Si ta pub a l’air mieux à l’envers c'est que tu as un sérieux problème.”
Les réactions légitimes de rejet (dégoût ?) face à la dernière pub hors-sol10 d’Apple (lire ici et là ) me confortent dans l’idée de la montée en puissance de la tendance de l’Offline Premium que j’évoquais dans la lettre précédente.
Cette fuite d’une certaine forme dévoyée de la quantité et d’un digital performatif qui écrase tout, je l’entends de plus en plus souvent dans mon cabinet de Transition de vie “Second Act”.
Dans les vies performatives qu’on essaye de nous vendre, il y a un mythe tenace : le mythe de l’arrivée. Mais, comme beaucoup de produits de la modernité liquide, ce mythe de l’arrivée contient des doses industrielles, parfois létales d’insatisfaction.
Il ne marche qu’à cette condition.
Avant de vous en parler dans l’essai de la semaine, je vous emmène au-delà du temps dans une safe place initiatique.
J’ai choisi cette semaine d’ouvrir la lettre avec la dense délicatesse de Pascal Quignard.
Il nous parle des arbres et de “ l’exubérance des choses inutiles” et ce sera le texte méditatif de la semaine.
À quoi servent les arbres ?
-A quoi servent des arbres si grands que quand on regarde de tout en bas leur cime comme je le fais on ressent un véritable vertige ? demanda le lettre de Toulouse.
-A donner de l'ombre, répondit Sofiius le Notaire.
Ils sont si grands qu'ils menacent la cour. De plus, on ne saurait les abattre sans mettre en péril les murs qui la closent.
-C'est pourquoi ils poussent toujours. Ils pousseront toujours. Ils pousseront les murs et les pierres descellées tomberont en ruine. Les arbres qui ne peuvent pas être utilisés par les porteurs de lances, par les fabricants de palissades, par les fabricants de chariots, par les luthiers, par les fabricants de barques, connaissent l'utilité exubérante des choses inutiles. Dans leur ombre se réfugiaient Virgile, la fraîcheur du printemps, les abeilles qui vous importunent, ceux qui ne font rien, les lettres, ceux qui se touchent quand ils ont un peu bu, les morts, les fruits, les enfants, les grenouilles, les escargots, les arts, moi, vous.»
Pascal Quignard, les Ombres Errantes
Le mythe de l’arrivée ou l’illusion du shopping de futur
Quand on aura remboursé l’appart,
Quand les enfants seront grands,
Quand j’aurai couru un marathon,
Quand j’aurai rencontré la bonne personne
Quand j’aurai perdu cinq Kilos
Quand j’aurai atteint le bon niveau de salaire,
Quand je serai à la retraite,
L’un des écueils les plus fréquents dans les décisions de vie est le Mythe de l’arrivée. On pense que dès que l’on aura passé tel ou tel cap, les choses vont miraculeusement s'emboîter et votre vie prendre un sens nouveau. La “vraie vie” va commencer, vous allez enfin pouvoir prendre ce fameux tournant.
Ce mythe de l’arrivée a été isolé par Tal Ben Sahar, psychologue à Harvard qui en donne la définition suivante : "le mythe de l'arrivée est cette illusion qu'une fois que nous avons atteint notre but ou notre destination, nous atteindrons un bonheur durable".
La vérité est que la vie ne cesse de repousser nos lignes d’arrivée et de produire de nouveaux désirs extrinsèques. Et l’illusion profonde du mythe de l’arrivée est que la réussite extérieure peut venir combler un vide intérieur. Que les désirs minces ou mimétiques pétris d’anxiété statutaire peuvent prétendre supplanter les désirs profonds. La fameuse ligne d’arrivée est un mirage qui recule à mesure qu’on avance. Nous courons après, haletants, les yeux brillants d'envie, les mains tendues vers ce rien.
L’insatisfaction chronique des désirs minces
On sait pourtant que la satisfaction d’un marathon ne dure que quelque jours et que celle d’une hausse de salaire ne dure que deux mois, alors que courir régulièrement vous rend plus heureux.
Mais le mythe de l’arrivée est un mythe très courant et c’est ce qui le rend d’autant plus dangereux car il agit comme un effaceur de passé et un destructeur de présent.
Tendu vers l’arrivée, on oublie d’apprécier le paysage. En ce sens, le Mythe de l’arrivée est un tueur de moments heureux car nous sommes en permanence tendu vers un but illusoire qui ne nous satisfera jamais.
Et c’est précisément là que le mythe de l’arrivée est particulièrement nocif. Ultime sophistication de la modernité liquide, il nous empêche à la fois d'apprécier le sel de la vie, la beauté du chemin mais aussi de faire le vrai travail introspectif susceptible de nous amener une nouvelle clarté. On réalise trop tard que la vie n’est pas une To do List ni un meuble à monter soi-même.
Dans une économie dopée à l’insatisfaction, le marché de l’insuffisance est roi. C’est pourquoi toute une industrie et une coterie consacre ses ressources à manufacturer des désirs synthétiques. Le triste constat d’Edward Norton dans Fight Club n’a rien perdu de sa troublante vérité : “Nous achetons des choses dont nous n’avons pas besoin avec de l’argent que nous n’avons pas pour impressionner des gens que nous n’aimons pas”. Mais, dans un monde post-extractif et post-performatif, l’industrie de l'insatisfaction n’est plus une idée durable.
Heureux Quand = Heureux Never
“Surtout vous ne fixez pas de but.” j’avoue que j’ai mis du temps à comprendre le premier conseil de vie de l’acteur Britannique de Stephen Fry. La vérité est qu’il faut s’extraire du mythe de l’arrivée comme de la roue d’un hamster. Un geste souvent tardif qui nous invite précisément à découpler le bonheur des buts extrinsèques.
Il s’agit pour cela d’ouvrir le temps en dehors des ces “scripted spaces”, ces espaces scénarisés et de rechercher les jeux infinis des gens longs.
In fine, le mythe de l’arrivée est un mauvais shopping de futur, un terrible arbitrage sur l’avenir car il nous prive de notre ressource la plus précieuse, une ressource non renouvelable et limitée : le temps.
La pire chose qui puisse vous arriver et de rejoindre la triste cohorte des "Heureux Quand" (les Happy When comme Shane Parrish les appelle. Une vie n’a jamais été une option à hedger.
C’est l'avertissement et la terrible leçon à méditer que nous offre le compositeur Meredith Wilson :
“Vous entassez des rêves de lendemains et un jour vous vous réveillez avec des hiers vides.”
Envie d’un Second Act ?
«La tragédie de la vie est ce qui meurt à l'intérieur d'un homme pendant qu'il vit.»
Albert Schweitzer
Il y a une gigantesque déconnexion à l'œuvre dans la société. On nous dit qu’il y a une app pour ça, une pilule pour ça, une posture de Yoga pour ça, mais la vérité c’est que nous n’avons pas mis à jour nos outils intérieurs de fabrication du sens face à une société ou des phases de vie qui ont radicalement changé.
Découvrez Second Act, notre nouvelle offre Umanz, un passeport de sérénité pour la deuxième partie de vie.
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C’est tout pour cette semaine, je vous retrouve la semaine prochaine avec de nouveaux éclats de sens. D’ici là, gardez le cap 🧭.
Waloyo Yamoni, nous surmontons le vent.
Cette newsletter est avant tout un projet de cœur. De nombreuses personnes et sociétés nous demandent souvent : comment travailler ensemble ? Sachez qu’en dehors de “Second Act”, mon cabinet de transition de vie je réalise comme analyste culturel des carnets de tendances annuels (réservez votre session dès maintenant), des newsletters sectorielles, ainsi que de nombreuses Keynotes en entreprise sur les Soft Skills élégants: la Curiosité, l’esprit du débutant, l’émerveillement, l’impact, la loyauté, l’art de la conversation etc. Ainsi que des ateliers et séminaires exclusifs pour les comités de direction.
De mes anciennes activités chez Google, je garde par plaisir et pour ne pas perdre le pouls du monde, une activité de conseil en positionnement et en identité d’entreprise. Elle me permet de produire des contenus uniques, aussi différenciés que “des guitaristes punks dans un orchestre de mariachis” pour les entreprises, les professionnels et les marques. N’hésitez pas à me solliciter.
Merci Patrick pour cet article! Gros échos chez moi sur ce mythe de l'arrivée dont tu parles si bien. Je pense aux jeunes diplômés en début de carrière et à cette phrase que j'entendais beaucoup dans cette célèbre entreprise que tu connais très bien aussi 😅 : "je fais ça deux ans pour gagner un peu d'argent et après je ferai vraiment ce que je veux". Et puis finalement on continue un peu plus longtemps, jusqu'à arriver à se convaincre qu'on veut vraiment faire ça.
Et je le dis sans jugement de valeur, plus dans une forme de constat.