La lettre de Umanz : 🖋️“Les gens ignorés feront des choses qui ne pourront être ignorées.”
Le vacarme ne supprime pas seulement le silence, il aplatit les nuances.
Une nuance fondamentale me parait absente des discours de cette rentrée celle de l’estime. Je vous en parle tout de suite.
Mais sur ce sujet même du vacarme ambiant. Petit détour rituel par un texte essentiel et puissamment prophétique de Gilles Deleuze qui avait perçu toutes les nuances du bruit, les paradoxes des vociférations et des paroles inutiles :
Nous sommes transpercés de paroles inutiles
Nous sommes transpercés de paroles inutiles, de quantités démentes de paroles et d’images. La bêtise n’est jamais muette ni aveugle. Si bien que le problème n’est plus de faire que les gens s’expriment, mais de leur ménager des vacuoles de solitude et de silence à partir desquelles ils auraient enfin quelque chose à dire. Les forces de répression n’empêchent pas les gens de s’exprimer, elles les forcent au contraire à s’exprimer.
Douceur de n’avoir rien à dire, droit ne n’avoir rien à dire, puisque c’est la condition pour que se forme quelque chose de rare ou de raréfié qui mériterait un peu d’être dit.
Ce dont on crève actuellement, ce n’est pas du brouillage, c’est des propositions qui n’ont aucun intérêt.
Gilles Deleuze, (Négociations), 1985.
“Les gens ignorés feront des choses qui ne pourront être ignorées.”
…Pour une politique de l’estime
L’estime est-elle un angle mort de la présidentielle ?
C’est pourtant la grande oubliée des urgences et des transformations à venir qu'elles soient économiques, numériques et écologiques. Or, l’économie et la politique post-covid risquent de se fracasser sur ce mur invisible.
Le risque d’invisibilité est un risque sociétal
Dans la cité, comme dans les entreprises, il est temps de revitaliser la dignité des gens, des actes et des métiers. Car le sentiment d'indignité du laissé pour compte s’accompagne depuis des années par la dégradation volontaire du beau geste. Dans tous les champs de la société, il a été réduit en procédures et actes mécaniques sur fond de mépris bureaucratique.
Il est temps de voir au-delà du court-terme et des indicateurs objectifs et immédiatement constatables au détriment parfois de ce qui fait la valeur du travail pour celui qui l’exerce.
Chez les cols bleus comme chez les cols blancs, la violence moderne faite à la dignité des métiers est une violence perçue d’autant “plus douloureuse qu’elle vient toucher le geste, le cœur à l’ouvrage, la noblesse qu’il peut y avoir dans l’acte du travail.”
“La modernité n’a pas rendu les gens plus cruels. Elle a seulement inventé une façon par laquelle des choses cruelles pouvaient être réalisées par des personnes non cruelles”
Zygmunt Bauman
Il est donc urgent de voir au-delà du trimestre et du quinquennat. Il est temps d’avoir des horizons plus élevés des KPIs moins minuscules et de bâtir un altruisme du futur.
Le pire des maux modernes : l'anxiété d’être superflu
Les gens sentent qu'ils ne font plus partie de l'histoire du futur. Ils se disent "le futur n'a pas besoin de moi."
Yuval Noah Harari
Un phénomène nouveau dans les sociétés occidentales est celui des morts par désespoir. Les “deaths by despair”. De plus en plus de gens abandonnent le combat d’une vie car il ne se sentent plus dignes. Ils ne se sentent plus dignes car ils constatent que la possibilité même de progression sociale jadis interdite par la naissance est aujourd'hui privatisée et hors de portée. L’estime serait-elle devenue censitaire ?
Et c’est le constat le plus cruel, Ils ne peuvent plus jouer -et ne veulent plus jouer- car ils ont compris, parfois de la manière la plus cruelle, qu’ils ne font plus partie du jeu. L’insignifiance perçue nourrit l’indignité qui finit en indignation.
Les nouveaux désestimés savent que l’ascenseur social est bloqué, que le plafond de verre est de plus en plus impénétrable ou lié à la surface financière. Dans ces cas tragiques, l’inverse du désespoir n’est plus l’espoir, c’est l’estime.
Comment l’utilité sociale peut rester un tel impensé alors que partout et au-delà des débats partisans, les voix s’élèvent pour sortir d’une société qui produit, parfois de manière industrielle, ce déni de reconnaissance.
Et non, l’estime n’est ni une notion de gauche ni une notion de droite c’est un bien commun aujourd’hui en déshérence car privé d’horizon. L’impossibilité à renouveler l’estime est un échec majeur de nos politiques :
“L'un des fils rouge est l'échec des partis de centre gauche à gérer l'inégalité causée par la globalisation...Les partis sociaux-démocrates ont échoué dans leur mission historique de mettre un frein au capitalisme excessif. Ils ont échoué à lui demander des comptes...et à rechercher une société plus juste. "Ils ont converti l'inégalité des revenus et des richesses qui est déjà assez mauvaise en une inégalité d'estime."
Michael G. Sandel, Philosophe, analyste politique et Professeur à Harvard
Il est donc temps de penser au-delà des petits livres bleus et des petits livres rouges et des débats stériles car à ce jour, malgré les vociférations, aucune vision économique et politique ne parvient à calmer l’hubris des vainqueurs et l'humiliation des vaincus.
Colères et choc de modernité
Pourtant, le premier constat est que les colères, quelles que soient leurs formes ou leurs expressions dans le spectre politique, prennent leur source dans l’inégalité réelle et perçue créée par le choc de modernité des progrès industriels et technologiques.
Elles illustrent l’impasse de l’hyper-individu confronté à l’injonction de la performance économique et ne sont jamais aussi fortes que lorsqu’elles s’accompagnent de ce sentiment indélébile de “perte de dignité” comme nous l’explique Pankaj Mishra.
Or la terrible leçon de l’histoire demeure : “les gens ignorés feront des choses qui ne pourront être ignorées.”
Combien vaut l’utilité sociale ?
S'interrogeait récemment Philippe Emont sur Umanz. L’estime n’est-elle pas le chaînon manquant du fameux “faire société” qui s’écroule sous nos yeux .
Le constat n’a pas changé. Il est juste devenu plus urgent. Dans un contexte de crise économique, pandémique et climatique aigu, le sujet de l'invisibilisation, celui de l’immense besoin de dignité et d’estime sera les enjeux majeurs de la nouvelle élection à droite, à gauche, mais aussi au sein des entreprises.
N’en faites pas un irréversible et ne le laissez pas aux marchands de ressentiments.
3 tweets sinon rien
Celui-là (coffee lovers only), celui-là aussi (le deep breathing version Twitter). Sans oublier celui-là (le secret paradoxal d’internet).
Un zest de nuance…Accéder aux monologues intérieurs
Pourquoi lit-on des biographies ?
“L'un des principaux défis de l'écriture d'une autobiographie est de trouver le juste ton. La posture de confession narquoise semble avoir un attrait voyeuriste considérable, mais j'ai tendance à lire des mémoires dans l'espoir d'accéder aux monologues intérieurs de personnes intéressantes.”
Warren Dennis
Tittytainment quesaco ?
Xi Ping a lancé sa révolutions culturelle 2.0. Première cible désignée : le Tittytainment.
Qu'est-ce que le Tittytainment ?
C’est une forme de dérive de l’entertainment définie par les journalistes du Spiegel Hans-Peter Martin et Harald Schumann en 1996
Ils proposent deux concepts le Grand Gap et la société du 80/20
Dans cette société possible du 21e siècle, 20 % de la population en âge de travailler suffira à faire tourner l'économie mondiale
Les 80 % restants vivent d'une forme ou d'une autre d'aide sociale et se divertissent grâce à un concept appelé "tittytainment" (de Teets + entertainment), qui vise à maintenir les 80 % de citoyens frustrés heureux grâce à un mélange d'une prédictibilité mortelle lui même nivelé sur le plus petit dénominateur commun de divertissement pour l'âme et de nourriture pour le corps.
À méditer…
Comment va l’amitié en 2021 ?
Les Screenthoughts de la semaine
Apprendre à être seul
Le futur du travail post-covid
Être préparé à la surprise
Vieillir selon Ingrid Bergman
Ingrid Bergman
Et quelques pépites…
Quelques pépites extraites des revues de presses thématiques réalisées pour nos clients :
🐼 La Chine au bord d’une révolution culturelle 2.0,
📺 Comment les décisions se prennent chez Netflix,
🔭 En dessous du radar. Microsoft M12, la branche venture de Microsoft : télescope du futur,
🗣️ La dézuckerbergisation du monde a commencé, en particulier, la mort annoncée du ZuckTalk ,
👗 Le metaverse expliqué aux patrons de mode,
🙀 Et cela devait arriver… Voici les Tics Digitaux,
C’est tout pour cette semaine. Excellent Week-End. Je vous retrouve la semaine prochaine avec de nouvelles pépites de sens et d’ici là, gardez le cap.
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