J’ai une étrange habitude que mes amis connaissent bien, je collectionne des textes et des phrases. À cet égard, Umanz avec ses rubriques Screenthoughts, Inspirations et Essentiels est un peu mon “palais du facteur cheval”.
Et comme toute habitude poussée longtemps au bord de l’obsession, avec ses paradoxes et ses confins, cette collection m’amène de temps en temps à buter sur de drôles de cailloux. Des phrases mystérieuses, un poil incompréhensibles, mais incroyablement fertiles.
Ces drôles de graines ou ces étranges minerais faits d’un alliage de mots différents je les ai appelées les phrases de presques. Elles contiennent une incroyable magie et leur effet dure longtemps. Ce sont des phrases qui se méritent, des phrases talisman.
Avant de vous en parler je voulais vous en donner un petit avant-goût avec ce merveilleux texte de Richard Brautigan, pionnier de la micro-fiction, qui manifestement connaissait leur étrange pouvoir et leur secrète alchimie :
Mon nom
J'imagine que vous êtes plutôt curieux de savoir qui je suis, mais je suis de ceux qui n'ont pas de nom fixe. Mon nom dépend de vous. Donnez-moi le premier nom qui vous passe par la tête.
Si vous pensez à quelque chose qui s'est passé il y a longtemps : quelqu'un vous a posé une question et vous ne connaissiez pas la réponse.
C'est ça, mon nom.
Peut-être qu'il pleuvait fort.
C'est ça, mon nom.
Ou alors quelqu'un voulait que vous fassiez quelque chose. Vous l'avez fait. Et puis on vous a dit que ce que vous aviez fait n'allait pas - "Désolé de m'être trompé" -, et il a fallu que vous fassiez autre chose.
C'est ça, mon nom.
Peut-être que c'était un jeu auquel vous jouiez étant enfant ou quelque chose qui vous est venu à l'esprit, comme ça, sans raison, quand vous étiez vieux, assis sur une chaise près de la fenêtre.
C'est ça, mon nom.
Ou alors vous êtes allé à pied quelque part. Il y avait des fleurs partout.
C'est ça, mon nom.
Peut-être que vous avez regardé fixement l'eau d'une rivière. Il y avait quelqu'un près de vous qui vous aimait. On allait vous toucher. Vous l'avez senti avant que cela n'arrive. Et puis c'est arrivé.
C'est ça, mon nom.
Ou alors vous avez entendu quelqu'un qui appelait de très loin. Sa voix était presque un écho.
C'est ça, mon nom.
Peut-être que vous étiez allongé au lit, presque sur le point de vous endormir et vous avez ri de quelque chose, une plaisanterie toute personnelle, une bonne façon de finir la journée.
C'est ça, mon nom.
Ou alors vous mangiez quelque chose de bon et l'espace d'une seconde vous avez oublié ce que vous étiez en train de manger, mais vous avez continué tout de même, sachant que c'était bon.
C'est ça, mon nom.
Peut-être qu'il était plus de minuit et que le feu bourdonnait comme une cloche à l'intérieur du poêle.
C'est ça, mon nom.
Ou alors vous vous êtes senti triste quand elle vous a dit quelque chose. Elle aurait pu la dire à quelqu'un d'autre : quelqu'un qui fût mieux au courant de ses problèmes.
C'est ça, mon nom.
Peut-être que les truites nageaient dans le bassin mais la rivière ne faisait que vingt centimètres de large et la lune brillait et les champs de pastèques brillaient de manière disproportionnée, tout sombres, et la lune paraissait avoir poussé sur chacune de ces plantes.
C'est ça, mon nom.
Et je voudrais bien que Margaret me laisse tranquille.
Richard Brautigan, (Sucre de Pastèque.)
Les phrases de presque
Je fais partie de l’étrange, mais pas si confidentielle, tribu des collectionneurs de phrases. À force de lire ou de m'abîmer les yeux sur les apps Kindle tôt le matin j’en suis arrivé à isoler des phrases mystérieuses.
Je les ai appelées les “Phrases de presque.”
“Les phrases de presque” sont des phrases que l’on ne comprend pas du premier abord... Comme on ne les comprend pas très bien on les relit. On les note quelque part. On les remâche lentement. Elles viennent de loin. Elles nous disent quelque chose. Mais on ne sait pas quoi.
C’est à nous de les compléter.
Il se joue alors un étrange ballet entre la phrase et nous. Et un jour, le sens se dévoile.
La phrase de presque accepte de nous parler, de nous dévoiler son mystère.
Les phrases de presque ont cette beauté étrange. La plus rare, celle qu’on peut mettre dix ans à remarquer mais dont on n’arrive plus à se déprendre.
Ce sont des phrases mystiques, souvent fermées à double tour. Des phrases dont la portée ésotérique nous échappe longtemps. À leur manière, ce sont des phrases talismans.
L’une de ces phrases fut pour moi celle de Melville :
« Queequeg était natif de Rokovoko, une île très lointaine dans l’ouest et dans le sud. Elle n'est portée sur aucune carte : les vrais lieux n'y figurent jamais. ”
Hermann Melville Moby Dick
…les vrais lieux n’y figurent jamais.
En en discutant autour de moi, j’ai appris que d’autres geeks de littérature collectionnaient comme moi des phrases de presque. Je n’étais donc pas seul à savourer ces phrases mystérieuses comme d’étranges bonbons à effet retard.
Voici quelques phrases de presque que l’on a bien voulu m’envoyer :
Prends garde, ô voyageur, la route aussi marche.
Rainer Maria Rilke
Alice : “Voudriez-vous me dire, s'il vous plaît, par où je dois partir d'ici ?
Le Chat du Cheshire : Cela dépend beaucoup de l'endroit où tu veux aller.
Alice : Peu m'importe l'endroit...
Le Chat de Cheshire : En ce cas, peu importe la route que tu prendras."
Lewis Caroll
Les crabes pensent-ils que nous marchons de côté?
Bill Murray
Tout art est autobiographique ; la perle est l'autobiographie de l'huître. -
de Federico Fellini.
Il y aussi cette phrase mystique sous forme de question que Perceval, dans les légendes Arthuriennes, n’ose pas poser la première fois au Roi Pêcheur : « Qui est servi par le graal ? »
Ou encore cette phrase incarnée d’Ivan Tourgueniev qui dit la force cachée des phrases de presque :
C'est cela la vraie beauté de la poésie: au lieu de parler de ce qui est, elle chante quelque chose qui est infiniment plus élevé que la réalité et qui, pourtant, lui ressemble davantage...
Ivan Tourgueniev (Premier Amour. Nouvelles et poèmes en prose)
Et il reste toujours ce Koan Zen qui ne cesse de se déplier : “Quel bruit fait une seule main qui applaudit.”
Comme certains contes, dont enfants, nous ne comprenions pas le sens, ces phrases de presque possèdent une troublante vertu hypnotique.
Ce sont de purs produits de la merveille, elles tissent un entremonde entre le lecteur et l'auteur.
Christian Bobin savait pénétrer leur mystère en les effleurant avec une infinie délicatesse sans jamais les déranger.
“Les mots ne sont pas les plus importants. Ils enferment parfois. Alors que quand ils sont simplement allusifs, à peine écrits, ils amènent le lecteur à faire un travail psychique et délivrant sur lui-même. Les livres sont agencés pour permettre à un silence bienfaisant, fraternel, de venir.
Dans cet espace, quelque chose de l'auteur rencontre le lecteur et celui-ci y rencontre quelque chose de lui.
Christian Bobin
Je retrouve souvent ce goût antique des phrases de presque chez Pascal Quignard. Sa phrase “Aucun fruit n’a vu de fleur.” dont je n’ai pas fini de percer la mystérieuse évidence continue de me hanter.
Car les phrases de presque sont aussi des “phrases iceberg” de fameuses phrases dont seul le sommet est visible. Elles attendent des années pour être découvertes. Il y a dans les phrases de presque comme un rite de passage.
Un attendu de profondeur.
Chaque fois que l’on en croise une on sent qu’elle touche plus profond, qu’elle va à une vérité instinctive, toujours connue, une nostalgie. Les phrases de presque ont une étrange hyperphysicalité. Ce sont des phrases qui transpercent l’intellect pour toucher le cœur.
Le peintre Giorgio Chirico a eu cette merveilleuse intuition sur les œuvres d’art qui dit l’effet retard des phrases de presque : « Toute chose a deux aspects l’aspect courant que l’on voit presque toujours et que tout le monde voit, et l’aspect fantomatique et métaphysique que seuls de rares individus peuvent voir à des moments de clairvoyance et d’abstraction métaphysique. Une œuvre d’art doit dire quelque chose qui n’apparaît pas dans le dessin. »
L’ardente Alejandra Pizarnik qui en a composé tellement a su les regarder en face :
“Dans l’espoir qu’un monde soit exhumé par le langage, quelqu’un chante le lieu où se forme le silence. Ensuite il découvrira que ce n’est pas parce qu’elle montre sa fureur que la mer existe, le monde non plus. C’est pourquoi chaque mot dit ce qu’il dit et en outre, plus, et autre chose.”
In fine, les phrases de presque sont des beautés fragiles, derrière leur apparente naïveté elles dévoilent sans le toucher, un fragment de beauté mystique. Elles sont parfois si discrètes ou si camouflées qu’on pourrait passer à côté.
On ne le sait pas, mais pourtant, elles tiennent le monde.
Et vous, quelles sont vos phrase de presque ?
Second Act : abordez sereinement votre deuxième partie de vie
“La vie est un mode de devenir, une combinaison d'états par lesquels nous devons passer.
Là où les gens échouent, c'est qu'ils veulent élire un état et y rester. C'est une sorte de mort.”
Anaïs Nin
Il y a une gigantesque déconnexion à l'œuvre dans la société. On nous dit qu’il y a une app pour ça, une pilule pour ça, une posture de Yoga pour ça, mais la vérité c’est que nous n’avons pas mis à jour nos outils intérieurs de fabrication du sens face à une société ou des phases de vie qui ont radicalement changé.
Découvrez Second Act, mon cabinet de transition de vie, un passeport de sérénité pour la deuxième partie de vie.
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C’est tout pour cette semaine. Bon, on ne va pas se mentir, on l’a vu ces dernières semaines le monde n’est pas rose mais le négatif n’est pas une fatalité et il subsiste quelques ilots à l’écart des tempêtes, je vous retrouve donc la semaine prochaine avec une belle tranche de positif : l’ADN Secret des entreprises heureuses.
Waloyo Yamoni, nous surmontons le vent.
Cette newsletter est avant tout un projet de cœur. De nombreuses personnes et sociétés nous demandent souvent : comment travailler ensemble ? Actuellement, je consacre 80% de mon temps à “Second Act”, mon cabinet de transition de vie. 10% de mon temps à des Keynotes en entreprise sur les Soft Skills élégants: la Curiosité, l’esprit du débutant, l’émerveillement, l’impact, la loyauté, l’art de la conversation etc. Ainsi que des ateliers et séminaires exclusifs pour les comités de direction. Et 10%, par pur plaisir, à une activité de conseil en positionnement et en identité d’entreprise que j’ai gardée de mes anciennes activités chez Google, Reuters et Dow Jones. Elle me permet de produire des contenus uniques, aussi différenciés que des guitaristes punks dans un orchestre de mariachis pour les entreprises, les professionnels et les marques. N’hésitez pas à me solliciter.
Analyse riche qui touche ceux qui écrivent
René Char évoque ce phénomène
Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d’eux
Sinon il y a une belle collection de phrases de presque dans Par delà le bien et le mal de Nietsche
Dont celle-ci
Si tu veux que ta chaine tienne mord la
Ç’est une absurdité de l’esprit, mais l’instinct saisit très bien ce que ça veut dire
J’aime bien cette idée de phrases de presque ! Je mettrais celle-ci de Ronsard :
« Le temps s’en va, le temps s’en va, ma Dame, las ! Le temps, non, mais nous nous en allons… »