Depuis un moment je vois émerger dans mon cabinet Second Act une demande de plus en plus fréquente d'espace entre les choses.
Ce peut être une demande d'espace physique, temporel ou psychique.
D’un entre-deux, où l’on puisse s’appartenir à nouveau.
C’est de cet espace intérieur, cet espace fertile qui est souvent un lieu de renaissance dont je voulais vous parler aujourd'hui avec mon amie de plume Marie Dollé.
Au moment où tout, dans le vacarme ambiant, pousse à écrire pour les machines, nous vous invitons à apprendre à reconnaître et à vous fondre dans cet espace rare. Cet espace “inutile” que n'auront jamais les machines.
Je vous souhaite de très beaux espaces entre les choses.
L’espace entre les choses
L’art de s’habiter
Entre les mots, je suis la syllabe sacrée.
Bhagavad-Gita, X, 25.
Qu’est-ce qui fait qu’on réécoute une musique ? Qu’on répète une prière ? Qu’on relit ou ne relit pas un texte ?
Peut-être cherchons-nous, à travers ces gestes, à retrouver un rythme intérieur, une fréquence juste, alignée à ce que nous sommes. Il existe un interstice du rythme, une brèche discrète dans le flux continu du quotidien. Un soupir dans la répétition, une respiration qui ouvre le temps, plutôt que de l’enfermer.
Nous l’appelons l’espace entre les choses.
L’espace entre les choses est ce vide mystique entre les deux fragments séparés du Symbolon Grec, le silence entre les notes, la gouttière entre deux cases de BD, le mi-dire de Lacan, le fil d’or du Kintsugi. C’est un espace fertile et une ouverture à l’imagination. C’est une crête invisible où se joignent le mystère et la profondeur.
L’espace entre les choses c'est aussi la différence entre le temps contraint de Chronos et le temps de grâce du Kairos. C'est aussi un temps de recul. Ce temps d’immersion et de distillation de la patience cognitive de Maryanne Wolf.
Chez les Japonais, le "Ma" (間) est un concept esthétique et philosophique qui désigne l’intervalle, l’espace-temps, la respiration entre deux choses,
Une fois qu’on l’a vu, qu’on a ressenti son besoin, son indispensable et secret mystère, on le voit partout. Dans ces espaces pour l’esprit des sculpteurs Eduardo Chillida et Jorge Oteiza. On le retrouve également dans les sculptures de visées de Jean-Max Albert.
L’espace entre les choses est une suggestion muette, une invitation à la danse. Un tremplin de l’âme.
C’est un pont invisible qui se définit par ce qu’il enjambe et ce qu’il relie.
C’est aussi un lieu de séduction discret. Une tension douce, où les éléments ne se touchent pas tout à fait mais s’attirent, se parlent en creux. C’est là que l’imaginaire prend feu : dans le non-dit, l’inachevé, le presque. Comme un silence qui insiste, un regard suspendu, une absence qui appelle. Ce n’est pas un vide : c’est l’espace du désir et de la projection. Ce qui n’est pas là agit plus fort que ce qui est montré.
Souvent, l’espace entre les choses s’ouvre par une question. Les questions sont à la fois des ouvertures et des enlargisseuses d’espaces.
Nous nous sommes laissés trois mois pour écrire cet essai, le temps de mettre la hâte de côté et retrouver un espace fécond.
Créer un espace pour soi
Ouvrir un espace pour les autres
Les questions sont une clé pour ouvrir l’espace entre les choses
Un espace physique comme un reading nook recrée une spatialité de l’esprit.
Mais qu’en est-il de l’espace entre les choses dans le monde digital ?
On est tentés de penser qu’il a disparu, que tout n’est plus que précipitation : les flux, les feeds, les accusés de réception, les “vus”, les non-réponses.
Rien n’y respire. Tout s’y presse, s’y superpose.
L’arrivée des LLM semble annoncer la même chose. Des kilomètres de textes générés par l’IA, où l’interstice se dissout, où tout paraît sans fin. Un monde sans silence.
Et pourtant.
Un espace subsiste. Infime, mais réel.
Il s’ouvre dans l’usage attentif. Dans l’intention. Dans le regard porté sur ce que l’on accepte, ce que l’on refuse, ce que l’on transforme.
Il y a plusieurs façons d’utiliser un LLM.
La première, brutale : comme on a utilisé le digital jusqu’ici. Sans pause. Comme un hamster dans sa roue. Mais quand le hamster va trop vite, que se passe-t-il ? Il est éjecté.
Utiliser un LLM avec intention, ce n’est pas simplement déléguer. C’est nous redonner de l’espace et du temps. C’est écouter ce qui, dans la suggestion, nous ressemble, nous résiste, ou nous déplace.
C’est redevenir auteur dans l’acte de sélection. C’est choisir, affiner, détourner parfois.
C’est un espace fragile, mais fécond. Alors nous devons tous les préserver.
En faire un mindset.
Dans le monde actuel nous n’avons plus d’espace à conquérir. In fine, l’espace entre les choses est la dernière géographie à conquérir. La terra incognita là où vivent encore les dragons.
Car les gens qui savent encore laisser de l’espace entre les choses savent que ce n’est pas un creux mais un plein.
Marie Dollé et Patrick Kervern
Cette newsletter est avant tout un projet de coeur. De nombreuses personnes et sociétés me demandent souvent : comment travailler ensemble ? Actuellement, je consacre 80% de mon temps à “Second Act”, mon cabinet d’accompagnement en transitions pro ou perso. 10% de mon temps à des Keynotes en entreprise sur les Soft Skills élégants: la Curiosité, l’esprit du débutant, l’émerveillement, l’impact, la loyauté, l’art de la conversation etc. Ainsi que des ateliers et séminaires exclusifs pour les comités de direction. Et 10%, par pur plaisir, à une activité de conseil en positionnement et en identité d’entreprise que j’ai gardée de mes anciennes activités chez Google, Reuters et Dow Jones. Elle me permet de produire, pour les marques et les entreprises des positionnements ou des contenus uniques, aussi différenciés que des guitaristes punks dans un orchestre de mariachis.
J’aime cette sensation de l’infime. Cette chose qui existe « entre », et qui n’est souvent perçu que par celui ou celle qui le vit. J’ai quelques fois écrits sur ces entre-deux, parce qu’ils ont quelque chose d’existentiel. D’une bascule au temps de pause, c’est parfois d’une infime profondeur :)
Un texte sublime. J’aurais aimé l’écrire. J’ai savouré chaque ligne. Merci d’élever notre pensée de façon si inspirante! 🙏