La lettre de Umanz : 👾 Lorecraft, management du futur ?
«Les gens utilisaient une sorte de novlangue, qui n’était ni belle ni particulièrement efficace: un mélange de discours corporate avec des métaphores athlétiques et guerrières, gonflées d’auto-importance.“
“Que faisait Megan? La plupart du temps, elle organisait des réunions, ou des “sync”, comme elle les appelait. Le pire type de réunion – le genre où les participants tournent autour du concept de travail sans se plonger dedans. Les “sync” de Megan étaient remplies de discussions sur les cadences et la connectivité et la mise à niveau ainsi que sur la nécessité d’affiner et d’itérer pour aller de l’avant.
La principale unité de sens était la métaphore abstraite. Je pense que personne ne savait ce que chacun disait”
Molly Young, Vulture
J’ai la chance chez Umanz d’avoir un comité de pilotage qui fait surgir d’étranges insights quand au Big Quit actuel. D’après tous les signaux faibles et les conversations off (“Il s postulent, ils viennent mais ils ne restent pas chez nous”), il est clair que quelque chose ne fonctionne plus dans le management mécaniste hérité de la fin du siècle dernier et encore largement enseigné dans nos grandes écoles et au sein des grands cabinets de conseil en organisation.
Il est tout aussi apparent que ce qui fonctionnait -déjà fragilement- sur la Génération X et beaucoup moins sur la Y est en train de se crasher sur la Génération Z.
“Mais l’homme qui possède des dons brillants ne peut se satisfaire longtemps de les exercer sur un objet médiocre.”
Marcel Aymé
A une époque où la “Quarter Life Crisis” explose, certains iconoclastes essayent d’imaginer de nouveaux modes de management et de leadership en ouvrant des modes de pensée inédits. Ils projettent de drôles de fulgurances sur un monde du travail sclérosé. Je vous en parle tout de suite.
Mais avant de vous parler du Lorecraft, j’ouvre cette lettre de Umanz avec un nouveau texte méditatif - pas si décorrélé du sujet du jour- qui nous vient de Rainer Maria Rilke :
Être seul
“Être seul comme on était seul, enfant, lorsque les adultes allaient et venaient, pris dans des affaires qui semblaient importantes et considérables, puisque les grandes personnes avaient l’air très occupées et parce qu’on ne comprenait rien à leurs gestes.
Lorsqu’on s’aperçoit un beau jour que leurs occupations sont piètres, leur métier figé et qu’ils n’ont plus de lien avec la vie, pourquoi ne pas continuer, tel un enfant, à porter là-dessus le même regard que sur ce qui est étranger.”Rainer Maria Rilke (Lettre à un jeune poète. 1908)
Lorecraft, management du futur ?
C’est un signal faible comme l’habile et iconoclaste blogueur Venkatesh Rao en produit régulièrement. Il s’intéresse depuis des années au phénomène de “Lore” dans les jeux vidéos qui désigne tous les éléments de l’histoire et de l’arrière plan qui ne sont pas liés à l’intrique principale : les personnages, les spécificités de l’univers, le décor, les règles du monde et qui constituent souvent l’ADN, l’âme d’un jeu reconnaissable entre tous.
Pour lui, ce “lorecraft” est une nouvelle école de pensée qui remplacera à terme les principes de management moisis dans les organisations. Le “Lore” dans l’entreprise est le folklore informel qui s’organise autour de la machine à café, une culture qui se situe à l’intersection du story-telling et de la construction de mondes. Le Lorecraft est un nouveau principe de leadership.
Pour cela, il s’inspire de cadres designés par d’autres wizzards des jeux et du D.A.O : Rafael Fernandez, Kei Kreutler et John Palmer. Dans le schéma suivant repris par Venkatesh Rao dans son article, Rafael Fernandez établit le “Lore” et le lexique comme principes nouveaux -mais centraux- des nouvelles organisations :
Accrochez vous, dans le Lore, on parle de, Memes, de saints, de démons, de reliques, de totems. Mais quelle entreprise n’en a pas ? Le Lorecraft est à la fois une pure production des digital natives et du jeu vidéo et une idée ancienne, presque mythique, de la culture d’entreprise. Son importance ne doit pas être négligée car il ne constitue pas uniquement “la matière première de la construction de mondes” mais son sens.
Lorecraft : Jumeau maléfique du marketing
Dans les termes de l’auteur, Le Lorecraft serait aussi le jumeau maléfique du marketing dont il diffère radicalement :
“le marketing est l'histoire que les initiés racontent aux étrangers pour les influencer d'une manière ou d'une autre et Lore est l'histoire que les initiés se racontent à eux-mêmes pour gérer leur propre psyché.”
Un principe que n’ont pas encore intégré les grands MBA mais d’après certains signaux faibles, cela ne saurait tarder.
Attention, précise l’essai, Le Lore ne peut pas être conçu de la même manière que le marketing. L’art du Lorecraft consiste à accompagner, comme un jardinier, ce qui constitue l’émergence du lore dans votre organisation. Rao ne parle plus à ce propos de Marketing mais de Memetic Forecast. Car la vraie viralité vient du Lore, pas d’un marketing pré-fabriqué.
C’est d’ailleurs une règle oubliée des premiers temps d’internet : “fournis le carburant, pas l’étincelle”.
“lorsque même votre patron est potentiellement une application qui vous transmet des tâches et des primes plutôt qu'une personne, lorsque votre monde du travail n'existe pas dans le champ de distorsion de la réalité d'un Steve Jobs, mais dans le champ de distorsion de la réalité inanimée d'une suite d'outils SaaS bricolés, vous finissez par penser de manière très différente aux questions traditionnelles de supervision, d'autorité, d'attribution des tâches et de coordination.”
Venkatesh Rao
Le Lorecraft s’inspire également des 8 qualités d’une D.A.O telles que les décrit Kei Kreutler dans un mode - cela ne vous surprendra pas- cryptique : autopoïétique, alegal, superscalable, exécutable, sans permission, aligné, en copropriété et mnémotechnique.
En un sens, le lorecraft, fils étrange du gaming, est une nouvelle manière de surfer sur l’incertitude et une réponse au Big Quit qui se répand dans les organisations qui “ont perdu la ref”.
Un management issu des jeux vidéos ? Vous n'y pensez pas rétorqueront les gardiens du temple du non-sens. Là encore Rao enfonce le clou :
“Est-ce que tu préfères courir aveuglément vers une falaise, armé d'une feuille Excel remplie de data durement acquises mais profondément défectueuses, sans savoir que la falaise est là, ou bien naviguer de manière réfléchie avec des modèles mentaux modulés par l'incertitude, avec l'inconnu au premier plan sous la forme d'une carte de tarot ?”
Un MBA en “World Building” ?
Le “World Building” sera t-il un jour enseigné dans les écoles de commerce ? En tout cas, les règles du jeu doivent changer, car dans les vieilles machines sans âme où les humains sont réduits à des rouages, les rites corporate et la vieille magie ne marchent plus.
Le Lorecraft représente aussi une sortie par le haut du monde mécaniste, de la vision scientifique du travail et l’automatisation des hommes. Il est une forme de détour par la pensée magique et une réponse à la grande incertitude ambiante. C’est aussi une forme de soin et de réponse épidermique et immunitaire à l’épidémie de santé mentale. Et c’est sans doute pour cela qu’il est naturellement weird as a service.
Le management aussi a besoin de nouvelles mythologies.
3 tweets sinon rien
Pas faux
#Unexpected #Consequences
Si j'avais un 🔨
Ta vie en un chart par Tim Urban
Les Screenthoughts de la semaine
Le test d’une civilisation
Les histoires au secours de la réalité
Le déficit de compliment
Le prix de la délivrance
Question de François Busnel de la Grande Librairie à l'écrivaine Jeanne Benameur :
"Vous dites : ‘Pour la délivrance, il faut accepter de payer le prix.’ C'est combien ?"
Réponse de Jeanne Benameur :
"C'est cher, c'est très cher. Il faut accepter de payer comptant dans tous les sens du terme. Parce que oui il y a un prix à payer. Et oui tout cela n'est pas gratuit. Et ça fait partie de nos vies que d'accepter de payer le prix.
Moi ce prix là je viens le payer. Il y a des prix que je refuse de payer dans cette société, ils ne m'intéressent pas. Mais ce prix là qui est le prix intérieur, oui, j'accepte de le payer."
Les pépites de la semaine
🛋️ Décor à louer…Tiens, Tiens les meubles à louer se développent chez la Gen Y et ce n’est pas du minimalisme
👩🏼🎤 People = Matières. Quand les célébrités deviennent un cours à l’université, c’est que le monde a bien changé
🤷♂️Les japonais, toujours un coup d'avance : et voici Le Do-Nothing-Guy (et non, les filles, ne me dites pas qu’il existe depuis longtemps ;-).
🚷 Signal faible : LinkedIn a bloqué 11,6 millions de faux comptes en Q1
📹 Signal faible : les “Events Cameras” bouleversent la data visualisation
💀 Ray Diallo, du fonds Bridgewater voit 30% de risques de guerre civile.
C’est tout pour cette semaine, Je vous retrouve la semaine prochaine pour rassembler d’autres fragments de sens (et de nous mêmes).
Excellent week-end à tous, et comme toujours, gardez le cap.
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