“Jouis des choses de la terre en y renonçant.”
Gandhi
Bienvenue sur la lettre de Umanz. Une lettre où un non-automate parle à des intelligences naturelles.
À quoi avez-vous renoncé ?
Savons-nous encore renoncer ?
Nos sociétés de la dette et de l’hyperconsommation, saturées de faux besoins et de services de plus en plus infantilisants camouflent avec peine les limites du monde que nous franchissons avec une indifférence de plus en plus coupable.
Je voulais partager avec vous une nouvelle idée qui fait son chemin, celle des protocoles de renoncement. Une manière d’ouvrir des conversations -certes difficiles- dans les familles, les couples et les entreprises.
Renoncer. Vous n’y pensez pas…Le renoncement est un peu un mot oublié, dans cette époque où tout se déverse et tout s'extrait.
Cette période d'irretenue où nul ne sait se tenir en lisière.
Et si la suprême nécessité de notre temps nous appelait au renoncement. Et si le grand geste auquel les civilisations aspirent étaient le renoncement ?
"Un homme ça s'empêche" nous rappelait Albert Camus dans un cri désespéré. Saurons-nous encore renoncer. en cette époque saturée d'instant gratification - et de consécration algorithmique de micro-hubris de petits hommes ?
Avant d’en parler, et fidèle au rituel hebdomadaire de la lettre de Umanz, je partage avec vous ces deux petits textes méditatifs qui parlent chacun à leur manière de la complexité du renoncement.
La Profusion des choses
“L'arrivée de plus en plus rapide des choses faisait reculer le passé. Les gens ne s'intéressaient pas sur leur utilité, ils avaient simplement envie de les avoir et souffraient de ne pas gagner assez d'argent pour se les payer immédiatement…
La profusion des choses cachait la rareté des idées et l'usure des croyances.
Annie Ernaux, Les Années
Avoir assez
La scène rapportée par John Bogle dans son livre “Enough” se passe dans la somptueuse villa d’un milliardaire propriétaire de Hedge Fund sur Shelter Island.
Kurt Vonnegut, un écrivain fait remarquer à son ami Joseph Heller que le gérant de Hedge Fund a fait plus d’argent en un jour que Heller avec son célèbre Roman Cath 22 sur toute sa vie.
Joseph Heller répond alors “Oui mais j’ai quelque chose qu’il n’aura jamais : J’ai assez.”
Nos protocoles de renoncement
Renoncer est un mot pesant, dense, important. C’est un mot qui fait fuir ou revêtir la cape - bien pratique- de la pensée magique et de l’indifférence.
Autrefois renoncer s'appliquait aux rois, aux religieux et aux successions. C'était un acte porteur de sens et lourd de conséquences. Souvent c'était un acte lucide et éclairé. Un acte habité par les limites. Les limites personnelles et collectives.
Qu'est-ce qu'un protocole de renoncement ? C'est une stratégie menée par une organisation publique ou privée dans le but d'aligner ses activités sur les frontières planétaires.
Aujourd'hui, les limites planétaires, la perte alarmante de biodiversité et l'accélération du dérèglement climatique imposent aux États, aux entreprises et aux particuliers de réfléchir sans masques, faux semblants et indifférence à nos protocoles de renoncement.
Car quand tous les verrous sautent. Les limites font un bruit assourdissant. Nous sommes entrés dans des temps Inquantifiables.
Mais, dans une société qui n'a renoncé à rien et surtout pas à l'hubris et au ridicule, limite est un mot qui fâche. Et dans une fuite consumériste qui s'apparente de plus en plus à de l'escapisme, le renoncement fait figure de rite perdu. Un mythe dont on a perdu le sens.
En bref, le bruit joyeux de l'orchestre du Titanic masque les premières conversations de renoncement pour les aplatir au niveau de murmures. Et pendant que la fanfare joue, l'hypercapitalisme le plus cynique prépare ses prochains produits comme l’air pur à 10.000$ la bonbonne.
Il va falloir renoncer, faire le tri de la vérité et de la valeur dans nos modes de vie. Un nouveau type de tri sélectif, peut-être le plus difficile. Être un "good ancestor" aujourd'hui impose de renoncer.
Mais à quoi saurons nous renoncer ? Quel CEO démarrera sa prochaine réunion par cette question vertigineuse : quels sont nos protocoles de renoncement ? Quelles familles suivent la préconisation de Jancovici de 4 voyages aériens dans une vie ? Qui acceptera de ne pas se ruer sur le dernier iPhone quand on sait que 90% de nos smartphones remplacés sont encore en parfait état de marche ?
Et dans la finance, qui aura le courage ou la dignité de flécher l'argent vers des protocoles de renoncements ?
Dans quelques années pourtant, renoncer ne sera plus un acte courageux, ce sera un acte réaliste. Un acte nécessaire.
Peut-être que l'une des phrases les plus banales dans un futur de plus en plus proche sera : quel est ton protocole de renoncement ? Et l'une des sources de richesse intérieure sera d'être capable de dire et d'expliquer à nos enfants, à nos salariés, à nos actionnaires, à nos clients ce à quoi on a renoncé et pourquoi.
Eric Duverger de la Convention des Entreprises pour le Climat m'a confirmé récemment l'importance du sujet chez ses membres, même s'il admet qu'à part quelques renoncements salutaires chez Mustela et Renault Trucks, les protocoles de renoncement demeurent encore une Terra Incognita dans les entreprises.
Il va nous falloir découvrir la beauté du renoncement. Une beauté difficile mais une beauté lucide. Une manière juste de voir le futur et de lui donner un sens.
Dans le podcast sismique de Julien Devaureix, Alexandre Lacroix de Philosophie Magazine faisait le constat qu'aucun dirigeant ne présentait aujourd'hui de plan stratégique sans croissance. Et il a tristement raison, l'enjeu est de taille, l'infrastructure fossilisée du "Non Renoncement" paraît aujourd'hui bien plus solide que nos limites planétaires. Il est tellement plus facile dans nos foyers, dans nos entreprises et nos collectivités aujourd'hui d'être additifs que soustractifs. "Quels sont tes KPI de renoncement" est encore aujourd'hui, dans 99% des entreprises - a fortiori cotées- une question lunaire…
Car les protocoles de renoncement posent des questions vertigineuses que l'orchestre du Titanic, particulièrement la section cymbale, a renoncé à envisager : à quel rythme peut-on, doit-on changer ? Quelles sont les coercitions acceptables d'un protocole de renoncement dans une démocratie ? Quels arbitrages entre les enjeux sociaux et écologiques ?
Il va nous falloir réfléchir à tout ce qui fait obstacle aux renoncements inéluctables. Nos temporalités (politiques et économiques), nos habitudes, nos indifférences et nos lâchetés. Sans oublier nos résistances publiques et privées.
La vérité est que nous n'avons pas besoin de plus de choix nous avons besoin de moins de besoins.
Il va aussi falloir inventer un arsenal juridique et des concepts législatifs à la hauteur de nos renoncements.
Le vrai danger est qu'à plus ou moins long terme, à force de ne renoncer à rien, on soit forcé de renoncer à tout.
Le travail de renoncement est un travail difficile car c'est un travail de deuil. Peu de gens sont prêts à changer de société, même quand elle est factice et non soutenable.
Aucune victoire n'est à la hauteur d'un renoncement nous expliquait le philosophe Raphaël Enthoven il y a quelques temps. Il va falloir dans les prochaines années prendre les mesures de nos limites physiques mais aussi de la hauteur pour accepter des pertes.
Des pertes d'un nouveau genre.
Des pertes qui nous reconstituent.
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C’est tout pour cette semaine, je vous retrouve la semaine prochaine avec un essai sur la création qui me tient particulièrement à cœur.
D’ici là. restez des gens longs, et surtout, gardez le cap🧭.
Waloyo Yamoni, nous surmontons le vent.
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Très beau sujet, qui m'inspire beaucoup ! Bravo !
Magnifique, j'en repars avec deux nouvelles façons de nommer des choses dans le monde : les protocoles de renoncement, les instapoètes !