La lettre de Umanz : ✍️ Quelle est ta dette d'âme ?
J’ai reçu de magnifiques réactions sur tous les canaux à la dernière lettre de Umanz : “Ceux qui…”. Comme le disait Camus à René Char en février 1950 dans une lettre restée célèbre : « Comme on se sent beaucoup tout d'un coup à être enfin quelques-uns… »
Je disais dans cette dernière lettre que nous étions des multitudes. Beaucoup plus que nous le croyons, à tenter de maintenir nos âmes en vie et continuer d’opérer dans un monde déréglé dont on semble avoir perdu les manettes.
Je continue donc mon exploration du sens initiée en 2018 et déclinée à travers de nombreux ateliers en entreprises pour vous parler d’un étrange concept croisé cet été dans une lecture une nouvelle fois sérendipitesque, celui de dette d’âme.
Avant cela, et parce que suis hanté par la question tragique de l’indifférence, notre petit détour méditatif passe cette semaine par ce magnifique texte :
Ces gens qui arpentent le podium de l’indifférence
« Ces gens qui arpentent le podium de l’indifférence et qui s’évaporent dans une bulle d’apathie, peuvent être inconscients de la décomposition de leurs émotions et de la dispersion de leur attention qui sont des obstacles cruciaux pour rafraîchir leur cadre mental et pour compléter le contenu leur histoire de vie.»
Erik Pevernagie, artiste
À la Une cette semaine :
Quelle est votre dette d’âme ?
J’ai été récemment saisi par un concept présent dans les cultures asiatiques et un peu moins dans les pays occidentaux. Un concept qui m’est apparu à la fois pertinent et poétique celui de “dette d’âme”.
Paul Millerd auteur d’un livre fascinant sur les mutations générationnelles du monde du travail a lui même croisé ce concept chez la blogueuse Valerie Zhang qui l’explique de la façon suivante et donne ainsi la clé de son urgence d’écrire :
« Je continue à revenir à l'écriture, même si c'est si difficile ? Pourquoi suis-je obligée de continuer à écrire, même si je ne serai peut-être jamais publiée ? L'expression à laquelle je reviens sans cesse pour répondre à ces questions est "dette d'âme". Il existe un compte bancaire pour mon âme. Mon solde diminue lorsque je travaille de longues heures, que je suis trop cynique ou que je ne me donne pas la possibilité de rêver, de m'asseoir et de réfléchir. Je me sens appauvrie lorsque je ne réapprovisionne pas mon compte, et lorsque mon solde est négatif pendant trop longtemps, je ne me sens plus vivante. »
Valerie Zhang
On croise l’équivalent de ce concept chez le Philosophe Alan Watts qui expliquait l’irrépréssible besoin d’écriture et son urgence vitale dans des termes très similaires :
Un conseil ? Je n’ai pas de conseil arrête d’espérer et écris. Si tu écris, tu es un écrivain.
Écris comme si tu étais un putain de prisonnier dans le couloir de la mort, que le gouverneur est en voyage hors du pays et qu’il y a zéro chance d’être gracié.
Écris comme si tu étais suspendu au dessus d’un précipice, les jointures blanches, à bout de souffle et qu’il ne te restait qu’une chose à dire.
Comme si tu étais un oiseau qui nous survole et qui peut tout voir et s’il te plait pour l’amour de dieu, dis nous quelque chose qui nous sauvera de nous même.
Prends une respiration profonde et dis nous ton plus profond, ton plus sombre secret, pour nous ouvrir les yeux et que l’on comprenne que nous ne sommes pas seuls.
Écris comme si tu avais un message du roi.
Ou n’écris pas, peut être qui sait, tu fais partie des chanceux qui n’ont pas à le faire.
Alan Watts
Mais le concept de dette d’âme est-il cantonné aux écrivains, aux artistes ou aux écorchés vifs ? Je ne le crois pas. Je rapproche ce concept de l’expression lourde de sens du célèbre psychanalyste Carl Jung :
“Si tu fais sortir ce qui est en toi, ce que tu fais sortir te sauvera. Si tu ne fais pas sortir ce qui est en toi, ce que tu ne fais pas sortir te détruira ".
Carl Jung
Et pour avoir beaucoup réfléchi dans le cadre de Umanz sur le sujet sens au travail, la crise de la quarantaine, les crises de quart de vie de plus en plus fréquentes chez les jeunes générations. J’ai été amené à m’intéresser aux thèses de James Hollis. Dans les traces de Jung, il pose cette question essentielle et quasi-existentielle. Une question inévitable que seules les âmes froides corporate refusent de se poser :
Qu’est- ce qui souhaite grandir en vous ?
Comme l’explique James Hollis une vie qui rétrécit le sens blesse l’âme. La dette d’âme peut être ce besoin de créer, de sortir de la course du rat, d’exprimer son talent ou de contribuer réellement au bien de la société. Elle peut surgir de l’envie de s’éloigner de la zombification de certains cadres en entreprise .
Et n’est-ce pas cette même dette d’âme qui s’exprime dans la quête moderne et désespérée du Lorecraft au sein des entreprises ?
Bien sûr, il est des questions que la triste assemblée des indifférents professionnels refuse de se poser. Mais quelle que soit votre réussite ou votre étape de vie, répondre à la dette d’âme c’est avoir le courage de répondre à cette seconde question vertigineuse de James Hollis sur votre situation actuelle ou vos désirs futurs :
Est-ce que ce chemin m’élargit ou me diminue ?
Il ajoute que ceux qui ont encore leur âme en vie connaissent intuitivement la réponse à la question.
Mais partir en quête de sa dette d’âme ne réclame pas uniquement du courage mais aussi du discernement. Pour l’identifier et y répondre il faudra souvent passer par d’autres questions inconfortables comme : “Qu’as tu fait de tes talents?“, “Qui cherche tu à impressionner ?” “pour qui travailles tu réellement” ? Ou encore cette question que beaucoup souhaitent éviter : “quel prix payes-tu pour ta conformité” ?
Posez vous ces questions, partagez-les autour de vous. Elles ne sont jamais neutres et densifient les conversations.
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C’est tout pour cette semaine, la rentrée s’accélère. Gardez le cap.
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