La lettre de Umanz :🖋️ta vie n'est pas une slide à 3 bullet points
Et pardon d’avance à nos lecteurs, si sensibles aux beaux textes, pour notre franglais particulièrement fréquent cette semaine…Qu’il n’occulte pas la profonde vérité du texte de Chloé un peu plus bas.
Celle qui avait vu Google (et bien d'autres choses) en 1985
En septembre 1985, Marguerite Duras, le regard lourd et la morgue intacte, anticipe, dans l’une de ses fulgurances habituelles, la cacophonie de l’âge des réponses.
Un interview presciente même si, de notre côté, on attend toujours l’âge des (bonnes) questions.
Voici le texte intégral :
Il n’y aura plus que des réponses
«Il n’y aura plus que ça. La demande sera telle que… il n’y aura plus que des réponses. Tous les textes seront des réponses, en somme.
Je crois que l’homme sera littéralement noyé dans l’information, dans une information constante. Sur son corps, sur son devenir corporel, sur sa santé, sur sa vie familiale, sur son salaire, sur son loisir. Ce n’est pas loin du cauchemar. Il n’y aura plus personne pour lire. Ils verront de la télévision. On aura des postes partout, dans la cuisine, dans les water-closets, dans le bureau, dans les rues. Où sera-t-on ? Tandis qu’on regarde la télévision, où est-on ? On n’est pas seul.
On ne voyagera plus, ce ne sera plus la peine de voyager. Quand on peut faire le tour du monde en huit jours ou quinze jours, pourquoi le faire ? Dans le voyage, il y a le temps du voyage. Ce n’est pas voir vite, c’est voir et vivre en même temps. Vivre du voyage, ça ne sera plus possible.
Tout sera bouché, tout sera investi. Il restera la mer, quand même, les océans. Et puis la lecture. Les gens vont redécouvrir ça. Un homme, un jour, lira. Et puis tout recommencera. On repassera par la gratuité. C’est-à-dire que les réponses, à ce moment-là, elles seront moins écoutées. Ça commencera comme ça, par une indiscipline, un risque pris par l’homme envers lui-même. Le jour où il sera seul de nouveau, avec son malheur, et son bonheur, mais qui lui viendront de lui-même. Peut-être que ceux qui se tireront de ce pas seront les héros de l’avenir, c’est très possible, espérons qu’il y en aura encore…
Je me souviens avoir lu le livre d’un auteur allemand de l’entre-deux-guerres. Je me souviens du titre, Le dernier civil de Ernst Glaeser. J’avais lu ça, que lorsque la liberté aurait déserté le monde, il resterait toujours un homme pour en rêver.
Je crois que c’est déjà commencé…»
Cette semaine
Nous accueillons le post de Chloé :
Ta vie commence quand tu comprends que ce n’est pas une slide à 3 bullet points
À force d’avoir des bonnes notes, à force d’être la première, parfois la deuxième, rarement la troisième je ne bossais pas pour moi, je bossais pour me comparer à mes rivaux (souvent des rivales), c’est tout naturellement que l'un des géants du conseil m’a recruté à la sortie d’HEC.
Je connaissais déjà le système, surperformance intellectuelle dans la restitution de milliers de business cases ingurgités à haute dose, surperformance manuelle en tableaux croisés dynamiques et powerpoints, sans oublier une secret sauce de design.
Juste assez pour rendre la data non pas comestible mais appétissante.
Chloé a gagné le match
J’étais championne en manipulation de symboles, je savais que les autres fauves de ce monde, les cadres dirigeants salariés, ceux arrivés après la 5ème place à l’école tapissaient les marches de leur carrière de rapports McKinsey, Bain ou BCG achetés à grands frais pour s’annuler les uns les autres.
Bref, tout roulait comme une présentation Keynote devant un board endormi.
Je ne pensais jamais créer, encore moins monter une startup, je pensais que le domaine du risque était réservé à celles ou ceux que je n’avais jamais calculés, ceux de la queue du classement, ceux à qui les profs remettaient leur copie d’un air las, lâchant parfois un “désespérant” toxique.
Co-vidad
Le Covid est venu ravager mes beaux rêves, la spécialité de ma practice était : les boîtes de tourisme et les compagnies d'aviation...La pression de mes boss s’est intensifiée. Au bout de quelques mois le marasme de mon secteur était devenu ma faute. Je n’était plus citée en exemple, la deuxième et la troisième de ma classe de grands lycées Parisiens affichaient une schadenfreude compatissante.
Après 4 mois pénibles dans une atmosphère de sacrifices intensément mimétiques (oui j’avais lu René Girard) j’étais à mon tour allongée sur l’autel des boucs émissaires. J’étais virée et mon univers s’effondrait.
Vae Victis...Les milieux Up or Out ont toujours adoré la violence cathartique.
La phrase d’une cousine DRH dans un grand groupe m’est revenue en pleine figure : "voilà ce qui arrive à une génération habituée à collecter des awards”.
Je n’étais plus la première de la classe, je n’étais même plus la dernière, j’étais rien. Quand vous sortez de cet univers aseptisé mais sanglant, il y a des regards qui ressemblent à des crachats. On m'avait coupé les deux jambes.
Synthèse de la satisfaction VS satisfaction de synthèse
J’ai du recommencer à zéro, ravaler ma fierté, commencer à comprendre que je ne travaillais pas pour dégouter les deux rivales que je connaissais depuis le cm2, que je ne travaillais pas pour épater mes parents (merci au fait pour les : “combien a le premier Chloé ?”). Réaliser que la vie n’était pas une course au bureau d’angle et au 20% de salaire en plus YoY.
Et j’ai dû tout réapprendre dans l’univers des startups, un échec (j’ai planté en six mois une boite comme CFO) et une semi-réussite plus tard, rien n’est gagné.
J’ai appris à la dure que l’avenir n’était pas réservé aux manipulateurs de symboles, qu’il fallait parfois mettre la main à la pâte, prendre les frictions en pleine gueule, prendre des partenaires, des gens, des sujets, en pleine gueule (les joies du CHSCT). Ne pas se payer pendant 16 mois. Recommencer au SMIC.
Ça a pris 1 an. 1 an à ne plus collectionner les regards de jalousie, les awards en mousse et les symboles extrinsèques statutaires : hochets des îles de Pinocchio corporate…Satisfactions synthétiques.
Tu n’es jamais Senior Partner de ta vie
Ça m’a pris 1 an pour comprendre que ta vraie vie commence quand tu réalises que ce n’est pas une slide à 3 bullet points.
«Dans un monde de fugitifs, ce sont ceux qui vont dans le sens opposé qui ont l'air de s'enfuir».
T.S Elliottt
Chloé R.
(NDLR : pour des raisons de confidentialité, le nom a été changé)
Rien à voir…Quoique…On a retrouvé les 9 règles de Vil Coyote :
Froffices…Marché du siècle ?
Qui craquera le code des Froffices ?
3 tweets +1 sinon rien
Cette semaine dans les filets du curateur : Dessine moi un scale , #NousSachons sous stéroïdes, ça aussi. Mais surtout ce monument d’humour twitteresque.
Jamais le trac ? Sarah Bernhardt a deux mots à vous dire
“Le trac, cela vient avec le talent.”
J'ai trouvé mieux que les réunions de syndic (si, si)
Les Screenthoughts de la semaine
Les Screenthoughts sont de petites pensées percutantes capturées ailleurs :
Contrepoint : quelle est la quantification ultime du succès ?
Choses écrites ou Choses lues ?
Je n’ai pas survécu, je me suis préparé
La revue de presse de la semaine
Parmi les revues de presse thématiques réalisées pour nos clients, le curieux curateur a retenu :
🤔 La question de la muerte : Votre marque est-elle une habitude ou un rituel ?
🗓️ Plongée dans Calendly, pépite de la Time economy
🔬Oubliez la Data : DNA is the new oil
🕰️ Créée en 1141, 879 ans, 55 générations d’héritiers. Le secret de Sudo Honke, l’une des plus vieilles sociétés du monde et son message en forme de contrepoint : “Don’t grow”
🎓Study Tube, toxicité sous stéroïdes ?
📐 Comment mesurer sa vie ? Les Leçons de vie du père de l’innovation disruptive : Clayton Christensen himself
C’est tout pour cette semaine, on se retrouve le 5 mars après quelques non-vacances covidiennes. Comme d’habitude, tâchez de rester humains et, toujours…Gardez le cap.
Cette newsletter est avant tout un projet de cœur. De nombreuses personnes et sociétés nous demandent souvent : comment travailler ensemble ? Sachez que nous réalisons des carnets de tendances annuels (réservez votre session aujourd’hui ), des newsletters sectorielles, ainsi que de nombreux ateliers, conférences et séminaires exclusifs.
Nous avons également une activité de conseil en positionnement et identité d’entreprise et réalisons des contenus aussi différenciés que “des guitaristes punk dans un orchestre de mariachis” pour les entreprises, les professionnels et les marques. N’hésitez pas à nous solliciter.