La lettre de Umanz : 🖋️vous reprendrez bien quelques nuances
Nous vivons une époque paradoxale de nuances infinies et d’absence de nuances totale.
L’épidémie silencieuse du COVID est aussi celle des maladies mentales. On me rapporte l’anecdote suivante : dans une résidence proprette de la banlieue parisienne sur quatre appartements il y a trois cadres en burnout…Et ils ne font certainement pas partie de la population la plus exposée... Pendant ce temps, aux US, il n’y a plus assez d’apps ou de thérapeutes pour répondre à la demande de santé mentale.
Raison de plus pour penser à la crète et faire sortir les mots du corps. Y compris le mot le plus à la mode en ce moment - et le produit dérivé le plus étrange du covid : l’Ultracrépidarianisme, merveilleusement expliqué par Yves Klein ici.
Je vous parle de cette pensée intuitive et du “sens corporel” un peu plus bas.
“Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur” dit le poète, cette semaine le comédien Etienne Guillou lit Le Pelican, somptueux extrait de Nuit de Mai d’Alfred de Musset pour Umanz. Une méditation sur la parenté, la vie, le sacrifice, les artistes et la mort.
LA MUSE
Quel que soit le souci que ta jeunesse endure,
Laisse-la s'élargir, cette sainte blessure
Que les séraphins noirs t'ont faite au fond du cœur;
Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur.
Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète,
Que ta voix ici-bas doive rester muette.
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.
Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage,
Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,
Ses petits affamés courent sur le rivage
En le voyant au loin s'abattre sur les eaux.
Déjà, croyant saisir et partager leur proie,
Ils courent à leur père avec des cris de joie
En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.
Lui, gagnant à pas lent une roche élevée,
De son aile pendante abritant sa couvée,
Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.
Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte;
En vain il a des mers fouillé la profondeur;
L'océan était vide et la plage déserte;
Pour toute nourriture il apporte son cœur.
Sombre et silencieux, étendu sur la pierre,
Partageant à ses fils ses entrailles de père,
Dans son amour sublime il berce sa douleur;
Et, regardant couler sa sanglante mamelle,
Sur son festin de mort il s'affaisse et chancelle,
Ivre de volupté, de tendresse et d'horreur.
Mais parfois, au milieu du divin sacrifice,
Fatigué de mourir dans un trop long supplice,
Il craint que ses enfants ne le laissent vivant;
Alors il se soulève, ouvre son aile au vent,
Et, se frappant le cœur avec un cri sauvage,
Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu,
Que les oiseaux des mers désertent le rivage,
Et que le voyageur attardé sur la plage,
Sentant passer la mort se recommande à Dieu.
Poète, c'est ainsi que font les grands poètes.
Ils laissent s'égayer ceux qui vivent un temps;
Mais les festins humains qu'ils servent à leurs fêtes
Ressemblent la plupart à ceux des pélicans.
Quand ils parlent ainsi d'espérances trompées,
De tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur,
Ce n'est pas un concert à dilater le cœur ;
Leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l'air un cercle éblouissant;
Mais il y pend toujours quelques gouttes de sang.
Alfred de Musset
A la Une cette semaine
Penser à la crète : comment agripper une idée ?
C’est souvent une ébauche d’idée, une étincelle, un vague sentiment, une intuition. Parfois on a du mal à l’agripper. Eugene Gendlin, philosophe et psychologue appelle cela “Penser à la crète” et propose une méthode pour accoucher ces pensées subtiles.
Son intuition première : “Lorsqu'un être humain expérimenté dans un domaine donné ressent quelque chose, il y a toujours quelque chose. Cela peut s'avérer très différent de ce que l'on croyait au début, mais ce ne peut être rien.”
Pour illustrer son propos il évoque ce réflexe observé chez un pilote d’avion professionnel : "Je ne peux pas l'expliquer. La météo dit que tout est clair, mais l'aspect de la chose me donne un étrange sentiment de doute…".
C’est précisément ce type de pensées à la crète, ces sentiments pré-intuitifs qui ne peuvent être décrits qu’Eugene Gendlin recommande d’explorer.
Penser à la crète : une traduction corporelle
Penser à la crète va donc consister à traduire ces sentiments qui n’ont pas de nom dans la langue de tous les jours. Parfois les mots n’existent pas, souvent il faut en prononcer plusieurs, désordonnés, intuitifs, maladroits, imagés avant de reconstituer le sens.
C’est exactement ce que recommande Gendlin, pour lui, aucun mot ou phrase établie ne parvient à dire “une pensée à la crète”. Souvent il faudra que plusieurs mots imprécis soient prononcés d’une manière désordonnée avant que le sens devienne perceptible. Il recommande d’ailleurs de ne pas interrompre le sujet quand il tente, même chaotiquement d’accoucher d’une idée.
“Ce qui doit être dit s'élargit ! Ce que nous disons ne représente pas le sens corporel. Il porte plutôt le corps en avant.” précise ainsi Gendlin qui incite à utiliser les mots comme ils viennent, d’une façon fraiche et créative.
Comme l’explique Gendlin : "les phrases nouvelles peuvent dire ce que l'on souhaitait que le mot signifie. Il s'avère maintenant que chacun des mots rejetés donne lieu à des phrases fraîches très différentes. Chacune d'entre elles tire quelque chose de différent du sens ressenti. De cette façon, avec quelques développements ultérieurs, ce qui était un seul sens flou peut engendrer six ou sept termes. Ces termes apportent leurs propres interrelations, généralement un schéma tout à fait nouveau."
Et ces nouvelles phrases sont souvent puissantes et révélatrices. Le sens perçu au début comme chaotique peut se révéler, en fait, très précis. Pour Gendlin cet art de “penser à la crète” est le début de ce chaînon manquant entre la sensation et le langage. Lynn Preston, psychothérapeute dit à ce propos : “L’implicite c’est à la fois “déjà” et “pas encore”.
Cette pratique subtile de réincorporation de la pensée permet aux mots de trouver une articulation. Gendlin parle d’ailleurs à ce propos de “sens corporel”, un sens qui transcende la séparation cartésienne entre corps et esprit et permet à cette pensée des lisières d’émerger..
“Loin de réduire et de limiter ce que l'on vit et veut dire implicitement, une nouvelle formulation est un développement physique de ce que l'on sent et de ce que l'on veut dire.”
Un processus individuel puis collectif
C’est un processus individuel avant d’être collectif : “Personne ne voit le monde sous votre angle...Personne ne peut saisir le plus que vous sentez.”
“Nous voulons être comme des poissons conscients de la mer”
Lynn Preston
La clé de la pensée à la crète est donc une écoute attentive, sans réaction, sans réponse et au départ sans interaction, le temps que la pensée naisse et se développe. Gendlin conseille ainsi de noter les mots avant qu’ils ne disparaissent pour pouvoir les restituer à l’interlocuteur.
Ce n’est qu’une fois que l’idée est différenciée que le processus collectif peut démarrer. Elle est alors enrichie via le croisement des affects et des mémoires. Le croisement enrichit alors sa complexité et son pouvoir implicite. À ce stade, l'interaction collaborative peut créer de nouvelles dynamiques, idées et schémas de sens.
C’est ainsi que ce “Connu Impensé” peut venir au monde.
3 tweets sinon rien
Il y a eu celui-là. Celui-ci aussi et surtout celui-là.
SHROOMPEDIA ou TikTok Excel ?
Cette semaine, faites votre choix dans la série You Gotta Love 2021 :
1- Wikipedia in the sky with diamonds ou…
2- TikTok Excel
Quelle est la deuxième définition d’Archegos en grec ?
“Celui qui est à la tête en toute chose, et a ainsi les moyens d’être un exemple, un prédécesseur, un pionnier.”
Les Screenthoughts de la semaine
Cette semaine, parmi les grandes et petites pensées capturées ailleurs :
Stupidité = 👿
Quel est ton choix ?
La sagesse augmentée
David Byrne a deux mots à vous dire
” La patience est une vertu. Mais je n’ai pas le temps”
Le chiffre de la semaine
Dessine moi une expérience client
Les pépites de la semaine
Voici les pépites de la semaine sélectionnées parmi les revues de presse effectuées pour nos clients :
🚘 Et voici les slow cars
🧠 Ce Thinktank climatique attire toutes les célébrités
🧢 Word up, le Business du rap a sa Newsletter
🚴♀️ Il y a le Metaverse et il y a le Peloverse...Plongée chez les fondus de Peloton
🌳 Dans le prochain thriller pandémique…La nature se venge.
✂️ Burberry accélère dans la mode digitale avec des modèles exclusifs.
C’est tout pour cette semaine. Joyeuses Pâques intérieures (mais pas que) et surtout, gardez le cap.
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